L’Hyper-Judiciarisation du Contentieux Électoral au Niger: Le Cas de L’Élection Présidentielle de 2020-2021

Oumarou Narey

L’Université Abdou Moumouni de Niamey-Niger

Dans un État de droit, c’est-à-dire un État qui « agit par le droit et au moyen du droit », il est nécessaire de se tourner vers la justice démocratique, celle qui « n’est pas faite pour satisfaire ses agents, ni pour produire des chiffres destinés à sa hiérarchie, mais pour garantir les droits » . C’est en effet, une des missions dévolues à la justice constitutionnelle. Mais cette mission n’est pas toujours bien perçue par les acteurs politiques. Pour illustrer cet état de fait, il suffit de se référer à l’hyper-judiciarisation du contentieux électoral au Niger, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2020-2021. 

L’hyper-judiciarisation signifie ici l’excès relatif au pouvoir d’un tribunal, ou d’un juge. Rapporté au contentieux électoral au Niger, l’hyper-judiciarisation veut dire que la Cour constitutionnelle – juge électoral – est compétente pour connaître de tous les aspects du contentieux lié à l’élection présidentielle. Cette concentration du pouvoir de juger le contentieux électoral peut servir de trame à l’explicitation des décisions électorales rendues par la Cour constitutionnelle du Niger. Il en est ainsi pour deux raisons principales : d’une part, la Cour constitutionnelle est née monogame, d’où l’unicité de sa juridiction en matière de contentieux électoral lié à l’élection présidentielle (I). Mais la concentration du pouvoir entre les mains du seul juge constitutionnel l’autorise aussi à connaître de tous les recours introduits par les acteurs politiques qui abusent d’un pouvoir sans bornes ; il s’ensuit là une politisation outrancière de la justice constitutionnelle (II).  

L’Unicité de la Juridiction de la Cour Constitutionnelle

Le caractère monogame, ou l’unicité de juridiction, confère à la Cour l’exclusivité pour connaître du contentieux lié à l’élection présidentielle. Pour illustrer cet état de fait, il suffit de se référer au cadre juridique la régissant. D’abord, il ressort de l’article 120 de la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010 que « La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale. […] ». Ensuite, cette disposition est complétée et précisée par l’article 127 de la même Constitution qui dispose clairement que la Cour constitutionnelle « […] contrôle la régularité des élections présidentielles et législatives. Elle examine les réclamations, statue sur le contentieux des élections présidentielles et législatives et proclame les résultats des scrutins […] ». Enfin, l’article 128 de la Constitution prévoit également que « la Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir en matière électorale, sans recours administratif préalable. Elle doit statuer dans un délai de cinq (5) jours, à compter du dépôt du recours au greffe ». Ces différentes dispositions sont aussi complétées par celles du code électoral et de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012 modifiée.  

En matière électorale, la Cour est la seule juridiction à connaître essentiellement de la validation des candidatures pour l’élection présidentielle, de la proclamation définitive des résultats, et de la gestion du contentieux électoral. À cet effet, les candidatures sont recueillies par le Ministère chargé de l’Intérieur qui, après avoir vérifié les pièces constitutives des dossiers, saisit la Cour pour validation. Après un examen par celle-ci de toutes les candidatures présentées par les partis politiques, groupements de partis politiques et candidats indépendants, elle – seul et unique juge de l’éligibilité des candidatures – a compétence pour pouvoir déclarer, d’une part, certaines candidatures inéligibles, et d’autre part, valider les autres. Les arrêts qu’elle rend en cette matière sont insusceptibles de recours, en vertu de l’article 134 de la Constitution qui dispose que « les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils lient les pouvoirs publics et toutes les autorités administratives, civiles, militaires et juridictionnelles. Tout jet de discrédit sur les arrêts de la Cour est sanctionné conformément aux lois en vigueur ». Il en résulte que les partis politiques et autres candidats indépendants n’ont que le droit de compléter leurs dossiers lorsqu’ils sont au niveau du Ministère en charge de l’Intérieur. Une fois que leurs dossiers auront franchi cette étape, les candidats n’ont d’autre choix que de se tourner vers la Cour qui, lorsqu’ils ne se fondent sur aucune disposition de la Constitution ou celle de la loi organique pour soutenir leur requête alors que l’article 134 pose le principe de l’impossibilité de recours contre les arrêts, peut déclarer la requête irrecevable.

Il est dès lors utile de noter que l’unicité de juridiction de la Cour constitutionnelle en matière constitutionnelle permet de tirer deux enseignements : le premier a trait à l’engorgement du prétoire de la Cour constitutionnelle. En effet, celle-ci reçoit toutes sortes de requêtes de la part des partis politiques et candidats indépendants. Le second enseignement est que l’unicité empêche au Conseil d’État, la plus haute juridiction en matière administrative, de connaître des recours pour excès de pouvoir des autorités administratives ayant en charge les questions électorales, alors même que le constituant a conféré au Conseil d’État la compétence en matière de contentieux portant sur les listes électorales ainsi que les décisions rendues par les tribunaux de grande instance siégeant en matière électorale concernant les élections locales (article 138 de la Constitution). L’article 128 de la Constitution du 25 novembre 2010 donne à la Cour constitutionnelle compétence pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir en matière électoral, sans recours administratif préalable. Il serait souhaitable que les juges administratifs connaissent des recours pour excès et que d’autres juridictions statuent en premier ressort en matière de contentieux concernant l’éligibilité à l’élection présidentielle pour permettre à la Cour constitutionnelle de rendre ses décisions en dernier ressort en la matière.

L’unicité de juridiction de la Cour constitutionnelle a amené les acteurs politiques à introduire tous les recours devant cette juridiction. Ce faisant, les acteurs ont usé et abusé même de la procédure prévue devant elle, comme en atteste sa politisation à outrance.       

La Politisation Outrancière de la Justice Constitutionnelle

Les saisines tous azimuts permettent aux candidats à l’élection présidentielle de contester les actes préparatoires et les actes administratifs pris avant et pendant l’élection, voire même réclamer ou exiger que la Cour statue sur les requêtes en contestation, des requêtes aux fins d’inscription sur la liste des candidats ou même des requêtes sollicitant l’annulation pure et simple du scrutin présidentiel. 

C’est du moins, ce qui s’est passé pendant la dernière élection présidentielle au Niger ; ce qui autorise à parler d’une certaine politisation outrancière de la justice constitutionnelle. Pour illustrer cet état de fait, il convient tout d’abord de rappeler les circonstances dans lesquelles la Cour a rendu quelques arrêts en contestation de l’éligibilité de certains candidats avant le scrutin présidentiel 1er tour du 27 décembre 2020. En effet, suivant l’arrêt n° 05/CC/ME du 13 novembre 2020, la Cour a validé 30 candidatures (dont celle du Sieur Mohamed Bazoum, candidat du parti au pouvoir) et rejeté 11 candidatures (dont celle de l’opposant Hama Amadou) soit parce que les dossiers ne contiennent pas toutes les pièces exigées par la loi portant sur le code électoral, soit parce les services de police compétents ont émis des avis défavorables ou réservés sur la moralité des candidats, soit encore parce que le candidat a été condamné à une peine d’un (1) an d’emprisonnement ferme (cas de l’opposant Hama Amadou), etc. 

Après cet arrêté d’éligibilité pour l’élection présidentielle du 27 décembre 2020, la Cour a été prise par la gorge, soit pour contester l’éligibilité du Sieur Mohamed Bazoum, soit pour réclamer un sursis à statuer sur l’éligibilité des candidats à cette élection jusqu’à l’intervention de la décision du Tribunal de grande instance de Diffa sur la contestation que les requérants ont soulevé concernant le certificat de nationalité produit par le candidat Mohamed Bazoum. Dans l’arrêt n° 06/CC/ME du 19 novembre 2020, la Cour a clairement soutenu qu’elle jouit de « la plénitude de juridiction…en matière électorale ; que dès lors, une disposition du Code de la nationalité ne saurait faire échec à l’obligation mise à la charge de la Cour de statuer dans le délai de quarante-huit (48) heures, en matière de validation des candidatures aux élections présidentielles ; qu’aucune disposition de la Constitution, du Code électoral ou de la loi organique sur la Cour constitutionnelle ne prévoit une possibilité de saisir la Cour constitutionnelle afin qu’elle puisse surseoir à statuer en cette matière en attendant qu’une autre juridiction se prononce sur la question ». Ce raisonnement a conduit la Cour a déclaré la requête irrecevable. Mais on peut regretter que la haute juridiction n’ait pas saisi l’occasion pour trancher définitivement la contestation concernant le certificat de nationalité produit par le candidat Mohamed Bazoum, étant entendu que la Cour n’étant pas juge de fond, elle ne peut se prononcer que sur les pièces à elle produites par le candidat ou les preuves fournies par les requérants. La Cour n’a pas à juger de la validité ou non d’une pièce établie par une autre juridiction compétente, le tribunal de Diffa. Il appartient à celui qui conteste la véracité de la nationalité d’origine d’apporter la preuve contraire. La Cour aurait dû juger sur la base de la nationalité fournie par le candidat et attendre qu’on lui apporte la preuve contraire.

N’ayant pas agi ainsi, la Cour a ouvert la « boîte de pandore » à toutes sortes de requêtes à caractère politique. En effet, la Cour a été, dans un premier temps, saisie aux fins de « constater que le certificat de nationalité versé par le candidat Bazoum Mohamed n’est pas conforme et par conséquent le déclarer inéligible » (arrêt n° 07/CC/ME du 19 novembre 2020). Dans un deuxième temps, la Cour a été sommée de « constater le caractère frauduleux du jugement supplétif ayant servi à la délivrance du certificat de nationalité n°99/SD du 11/07/85 produit par le sieur Bazoum Mohamed ; constater, dire et juger en conséquence que ledit certificat est frauduleux, ou en tout cas, non conforme à la loi et le déclarer inéligible par conséquent de ce fait pour n’avoir pas pu justifier un certificat de nationalité conforme » (arrêt n° 10/CC/ME du 08 décembre 2020). Enfin, pour la troisième et la quatrième fois, les mêmes requérants sont revenus à la charge pour demander de constater, d’une part, « le caractère supposé frauduleux du certificat de nationalité produit par ledit candidat » et, d’autre part, de constater « la nullité du certificat de notoriété n° 118 du 23 juin 1967 » et de déclarer le même candidat inéligible aux élections présidentielles du 27 décembre 2020. Il en résulte que les demandes ayant pour finalité de remettre en cause la nationalité d’origine du candidat Mohamed Bazoum n’ont pas prospéré pour deux raisons principales : d’abord, il appartient au candidat Bazoum de faire la preuve de sa nationalité d’origine ; ce que la Cour a déjà attesté dans son arrêt n° 10/CC/ME en date du 8 décembre 2020. Ensuite, en validant par arrêt n° 05/CC/ME en date du 13 novembre 2020 les candidatures, y compris celle du sieur Bazoum Mohamed, la Cour ne peut se dédire parce que ses arrêts ne sont susceptibles d’aucun recours. Il s’ensuit dès lors qu’il fallait se résoudre à aller à l’élection et battre campagne pour contester la suite du processus électoral ; ce à quoi s’est résolue l’opposition dans son ensemble. 

Ainsi, la saga judiciaire a continué devant la Cour constitutionnelle. En effet, suite à la proclamation par la CENI des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 27 décembre 2020, certains partis politiques ont saisi la Cour aux fins « d’annuler les procès-verbaux des résultats provisoires du scrutin présidentiel du 27 décembre 2020 […] pour faux et d’opérer un redressement en restituant les vrais résultats » (arrêt n° 02/CC/ME du 28 janvier 2021). D’autres partis politiques ont introduit des recours aux fins d’annuler les votes dans certaines circonscriptions (arrêts n° 3/CC/ME, n° 04/CC/ME et n° 05/CC/ME du 28 janvier 2021). 

Toutes ces requêtes ont été rejetées par la Cour constitutionnelle parce qu’elle les a jugées comme étant mal fondées. En vérité, les requérants, au lieu de fournir des éléments probants (copies des procès-verbaux avec mentions faites par leurs délégués dans les bureaux de votes-- Article 89 du Code électoral du Niger), se fondent sur des images et enregistrements audio dont l’authenticité n’est pas vérifiée et ne se référant pas à un bureau précis. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle a jugé que « les supports ainsi fournis ne peuvent suffire pour conclure à l’altération généralisée du scrutin ». Ces recours intempestifs témoignent de l’instrumentalisation de la justice constitutionnelle à des fins politiques. C’est pourquoi, il convient pour les acteurs politiques de tirer les leçons et enseignements y découlant. 

En effet, s’il est tout à fait vrai qu’ « il est dans la nature des choses que la justice soit critiquée »», il est aussi vrai que « la justice doit être attachée aux règles, ferme et constante ; autrement, elle est inégale dans sa conduite, et, plus bizarre que réglée, elle va suivant l’humeur qui la domine ». Il s’ensuit que nos acteurs politiques oublient, d’une part, que « la justice est au-dessus de la politique. La justice ne fait pas de politique. Il ne faut pas la rabaisser au niveau de la politique, parce qu’elle n’a jamais d’objet si elle ne jouit pas de la plus totale indépendance ». D’autre part, il faut rappeler à la même classe politique que  « le pouvoir judiciaire n’a jamais été et ne peut être un pouvoir politique ; il est le type essentiel d’un pouvoir purement juridique, il est exclusivement pour la déclaration de ce qui est conforme au droit positif.» 

Oumarou Narey est Professeur titulaire à l’Université Abdou Moumouni de Niamey-Niger

Suggested Citation: Oumarou Narey, “L’Hyper-Judiciarisation du Contentieux Électoral au Niger : Le Cas de L’Élection Présidentielle de 2020-2021” IACL-AIDC Blog (15 November 2021) https://blog-iacl-aidc.org/spotlight-on-africa/2021/11/15/lhyper-judiciarisation-du-contentieux-lectoral-au-niger-le-cas-de-llection-prsidentielle-de-2020-2021.