Partie I: La Roumanie: Chronique d’un référendum échoué
/Note de rédacteurs: Ce billet est le premier de deux postes écrits par Professeur Tănăsescu sur le référendum roumain sur le marriage. Le deuxième billet sera publié le vendredi le 19 octobre.
Le 6 et 7 octobre 2018 en Roumanie a eu lieu un référendum décisionnel et obligatoire pour la révision de la Constitution, plus précisément pour le remplacement du syntagme « le mariage entre les conjoints » avec « le mariage entre un homme et une femme » dans le cadre de l’article 48 qui porte l’intitulé marginale « la famille ». Le soir du deuxième jour de la consultation populaire il est devenu clair que ce référendum ne pourra pas être validé à cause de la faible participation de la population. Cet échec est dû, en grande partie, au contexte politique et aux enjeux sociétaux de ce référendum. La présente analyse, en deux parties se concentre uniquement sur les aspects juridiques, qui laissaient présager le résultat obtenu, mais qui ont été ignorés ou bafoués à tel point que la paraphrase du titre du célébré roman de Garcia Marquez « Chronique d’une mort annoncée » devient adéquate.
Ainsi, le 23 mai 2016 une initiative citoyenne pour la révision de la Constitution a été enregistrée auprès du Sénat de la Roumanie. En synthèse, plus de 2,5 millions de roumains se sont déclarés soucieux de la définition juridique du mariage et en faveur de la modification d’une phrase de l’article 48 de la Constitution, dont la version actuelle lit « La famille est fondée sur le mariage librement consenti entre les époux », dans une version qui dise « La famille est fondée sur le mariage librement consenti entre un homme et une femme ». Le Senat a envoyé l’initiative citoyenne à la Cour Constitutionnelle afin que cette dernière vérifie sa constitutionnalité et le respect des autres exigences légales relatives aux initiatives populaires.
A partir de ce moment la magie de la démocratie directe a commencé, et le parcours de cette initiative citoyenne a contourné tous les filtres juridiques spécifiques à l’Etat de droit, pour aboutir à un échec sans appel, bien que la responsabilité n’ait pas été assumée ni par les initiateurs, ni par les organisateurs du référendum.
En bref, le fait que le texte de l’initiative porte atteinte aux « clauses d’éternité » fixées par la Constitution, les écarts par rapport aux procédures de filtrage des initiatives populaires de révision constitutionnelle, et le non-respect de la procédure de révision de la Constitution et de la procédure pour l’organisation du référendum n’ont pas encombré les initiateurs, lesquels ont glorifié la volonté d’une partie déclarée importante de la population et l’impératif qu’elle soit non seulement entendue mais aussi codifiée dans la loi fondamentale. Or, un regard plus attentif risque de montrer une réalité juridique un peu différente:
le texte de l’initiative citoyenne pour la révision de la Constitution de la Roumanie méconnait les « clauses d’éternité » de cette loi fondamentale
En effet, la Constitution consacre son Titre VII aux règles relatives à sa propre révision, et fixe des limites formelles et matérielles à toute modification constitutionnelle, le tout étant placé sous le contrôle de la Cour Constitutionnelle. Ainsi, l’article 152 précise les catégories des normes et principes constitutionnels intangibles, parmi lesquels se trouve l’interdiction de la suppression des droits fondamentaux ou de leurs garanties. Dans sa décision nr.580/2016, la Cour Constitutionnelle a affirmé que le droit au mariage ne serait pas supprimé par cette initiative dans la mesure où le changement proposé vise « une précision sur l’exercice du droit fondamental au mariage, dans le sens que le mariage peut être conclu entre des partenaires de sexe biologiquement différents, cela étant, par ailleurs, la signification originaire du texte » (considérant 42).
Cette dernière affirmation est doublement erronée. D’abord, l’interprétation ‘originaliste’ du texte constitutionnel risque de se heurter à la réalité normative du droit positif en vigueur à la date de l’adoption de la Constitution. Ainsi, l’art. 1 paragraphe (3) du Code (communiste) de la famille (Loi nr. 4/1953, entrée en vigueur le 1er janvier 1954, abrogée par le nouveau Code civil, entré en vigueur en 2009), avait la même rédaction que l’actuel texte de l’article 48 de la Constitution: « la famille est fondée sur le mariage librement consenti entre les époux ». C’est le nouveau Code civil qui codifie expressément uniquement le mariage hétérosexuel, et qui interdit expressément (article 277) le mariage homosexuel. Ce que le régime communiste n’a pas osé faire explicitement vient d’être institutionnalisé par une loi adoptée en 2009, alors que la Constitution a été adoptée en 1991. L’interprétation « originaliste » et le renvoi à « la composante biologique qui a fondé la conception du législateur constituant en matière de mariage » (considérant 42) nous paraît une palissade apte à cacher les préférences des juges constitutionnels plutôt qu’un raisonnement juridique valide.
Ensuite, la « précision » mentionnée par le juge constitutionnel va au-delà d’une simple précision, et se constitue dans une véritable limitation du droit au mariage pour certaines catégories de personnes, id est dans la suppression d’une garantie constitutionnelle pour le droit au mariage. Le droit au mariage n’est pas une disposition constitutionnelle d’application directe ; pour sa mise en œuvre sont nécessaires des « précisions » sur les conditions de fond et de forme du mariage, lesquelles se trouvent dans des lois spéciales (code de la famille, code civil etc.). Tant que ces lois d’application ne prévoient rien en matière de mariage entre personnes de même sexe on pourrait soit remarquer le vide législatif et réclamer l’intervention du législateur, soit faire valoir le principe d’égalité et combler la discrimination qui est faite aux personnes de même sexe qui voudrait vivre en couple reconnu formellement par l’Etat à travers une application directe du texte constitutionnel qui prévoit le droit au mariage, application directe qui serait imposée par le juge qui constate cette discrimination. Une « précision » qui n’est pas faite par la loi d’application mais par le texte constitutionnel, et qui rajoute aux conditions exigées pour le mariage la différence de sexe des époux là où la rédaction antérieure du texte constitutionnel ne contenait pas une telle condition n’est plus une simple « précision sur l’exercice du droit fondamental », mais une limitation qui équivaut à une suppression d’une garantie. Car, soyons clairs, dans sa rédaction actuelle le texte constitutionnel rend possible, dans le futur, le mariage entre personnes de même genre si une loi d’application (Code civil, loi spéciale etc.) décline les conditions matérielles et formelles d’une telle union ; dans sa rédaction actuelle le texte constitutionnel n’empêche pas une jurisprudence créative qui aboutirait à une égalité de traitement entre les couples homosexuels et ceux hétérosexuels. Dans la rédaction souhaitée par les initiateurs de la révision constitutionnelle des telles possibilités, même futures, disparaissent. Le changement souhaité équivaut avec la suppression pour le futur d’une garantie actuelle d’un droit consacré par la Loi fondamentale. Après tout, si la Constitution reste inchangée, dans l’état actuel du droit positif (notamment ayant vu les dispositions pertinentes du Code civil) le mariage homosexuel est interdit en Roumanie, mais dans le futur cette situation pourrait changer sans que la Constitution puisse en être un obstacle. Une telle révision constitutionnelle n’est pas nécessaire pour préserver ou mieux protéger le mariage hétérosexuel, mais plutôt pour empêcher la réalisation d’une possibilité juridique future, qui est implicitement offerte par la loi fondamentale aux couples homosexuels. Autrement pour quoi rendre la Constitution en conformité avec le Code civil et non pas le Code civil en harmonie avec la Constitution ? S’il ne s’agissait pas d’interdire d’une manière stricte et rigide pour le futur le mariage entre personnes de même genre la modification de la loi fondamentale n’aurait pas de sens. De ce point de vue il devient encore plus évident que la révision constitutionnelle envisagée souhaitait opérer la suppression d’une garantie constitutionnelle d’un droit fondamental.
2. l’initiative citoyenne pour la révision de la Constitution de la Roumanie a été passée par la Cour Constitutionnelle à travers un filtre sui generis, qui mélange d’une manière originale les « clauses d’éternité » avec les critères légaux relatifs aux initiatives populaires
Une initiative citoyenne n’est pas un acte spontané. Pour aboutir à des résultats valides elle doit respecter certaines règles sur sa préparation, formulation, et déroulement des procédures, et la Cour Constitutionnelle est demandée à veiller au respect de ces exigences.
La Constitution roumaine prévoit le droit d’initiative législative pour au moins 100.000 citoyens, avec une certaine dispersion territoriale et un seuil minimum de signatures requis dans chaque département, et le droit d’initiative constitutionnelle pour au moins 500.000 citoyens, avec des exigences de dispersion territoriale et de densité du soutien de la proposition proportionnellement plus grandes. La loi qui met en œuvre ces dispositions constitutionnelles a été adoptée seulement en 1999. Pourtant, même avant cette date les citoyens ont formulé des initiatives populaires législatives, qui ont été contrôlées par la Cour Constitutionnelle uniquement sur la base du filtre fourni par la loi fondamentale.
L’initiative citoyenne pour la révision constitutionnelle enregistrée en 2016 a été la première que la Cour Constitutionnelle a pu contrôler selon un cadre normatif complet. Sans tenir compte de cet élément, la Cour a fusionné deux de ses attributions et a procédé à un contrôle hybride. Ainsi, selon l’article 146 lettre a) de la Constitution, la Cour Constitutionnelle vérifie d’office toute proposition de révision de la Constitution, et dans ce cas elle utilise comme normes de référence uniquement les exigences fixées par le titre des lois fondamentales qui règle sa propre révision ; dans ce cas de figure elle rend des décisions. Selon l’article 146 lettre j) de la Constitution la même Cour Constitutionnelle vérifie uniquement sur saisine (venue de la part de la chambre parlementaire où la proposition a été enregistrée) les initiatives législatives citoyennes, utilisant comme normes de références les règles fixées par la disposition constitutionnelle et la loi pertinente ; dans ce cas de figure elle rend des arrêts.
Or dans la décision nr.580/2016 la Cour Constitutionnelle a mélangé les deux procédures, et a vérifié surtout le respect des exigences relatives à la révision constitutionnelle, sans même mentionner les critères légaux relatifs aux initiatives citoyennes et sans expliquer pourquoi elle ne rend pas un arrêt.
Elena Simina Tănăsescu est professeur de droit à Bucharest University
Citation suggéré: Elena Simina Tanasescu, ‘Partie I: La Roumanie: Chronique d’un référendum échoué’ IACL-AIDC Blog (17 Octobre 2018) https://blog-iacl-aidc.org/blog/2018/10/17/partie-i-la-roumanie-chronique-dun-rfrendum-chou