Partie II: La Roumanie: Chronique d’un référendum échoué

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Elena Simina Tănăsescu

Bucharest University

Note de rédacteurs: Ce billet est le deuxième de deux postes écrits par Professeur Tănăsescu sur le référendum roumain sur le marriage. Vous pouvez lire le premier billet ici.

3. L ’initiative citoyenne pour la révision de la Constitution de la Roumanie n’a pas respecté la procédure parlementaire pour la révision de la Constitution

L’initiative citoyenne a commencé son parcours parlementaire au Sénat, chambre parlementaire qui avait été choisie par les initiateurs en mai 2016. Toutefois, après l’avoir inscrite pour débat sur son ordre du jour, en février 2017, le Sénat a renvoyé l’initiative citoyenne à la Chambre des Députés sans l’avoir votée. Ce renvoi a été fait sans aucun fondement normatif et sans aucune explication. Selon le cadre normatif en vigueur, un tel désistement de la part de la chambre parlementaire saisie avec une initiative législative équivaut à un rejet de ce projet ; cela aurait dû mettre fin à la procédure parlementaire. Toutefois, en avril 2017, afin de se donner une base normative pour ce renvoi bizarre, le Sénat a modifié son règlement intérieur et a institué une procédure originale pour la révision de la Constitution, qui n’en correspondait rien à la procédure prévue par la Constitution elle-même. Saisie en mai 2017 avec cette innovation, la juridiction constitutionnelle l’a invalidée vers la fin du mois de juin 2017 (décision nr.431/2017) pour méconnaissance des dispositions constitutionnelles relatives à la révision de la Constitution.

Entre temps, au début du mois de juin 2017, la Chambre des Députés a adopté l’initiative citoyenne avec la majorité renforcée requise par la procédure constitutionnelle. Le même jour l’initiative citoyenne a été renvoyée au Sénat, où le vote final a été accordé seulement en septembre 2018.

Selon le cadre normatif en vigueur, la version finale de toute loi constitutionnelle doit passer encore une fois par le filtrage d’office du juge constitutionnel car entre le texte de l’initiative et le texte de la loi adoptée par le Parlement il peut y avoir des différences qui méconnaissent « les clauses d’éternité » ou la procédure de révision peut ne pas être respectée……

Lors de sa décision nr.539/2018, rendue d’office, la Cour Constitutionnelle a fait savoir que sa décision nr.431/2017 n’était pas incidente dans cette procédure car elle visait une réalité juridique qui s’était produite ultérieurement au renvoi (bizarre) fait par le Sénat, et que « la collaboration et le dialogue » entre les chambres parlementaires avaient comblé cette déviation apparente de procédure.  

4. le référendum sur l’initiative citoyenne pour la révision de la Constitution de la Roumanie n’a pas respecté le cadre juridique en vigueur 

La Roumanie fait partie des pays relativement peu nombreux qui rendent obligatoire le référendum constitutionnel décisionnel, lequel doit être organisé dans un délai de maximum 30 jours à partir de la date de l’adoption de la loi de révision constitutionnelle. Une loi organique précise le cadre juridique général des référendums, et exige un quorum de participation et une majorité pour la validation de tous les référendums organisés sous ses auspices. L’instabilité normative a caractérisé ces deux exigences, mais depuis 2013 les référendums sont validés si au moins 30% des électeurs inscrits sur les listes électorales y participent, et si au moins 25% des inscrits expriment des options valides dans un même sens (« oui » ou « non » par rapport à la question posée).

Le quorum, c’est-à-dire le nombre des électeurs qui doivent participer à une consultation populaire afin qu’elle soit validée, a toujours été perçu plutôt comme un obstacle au lieu d’être considéré comme une condition pour la légitimité de la décision ainsi prise. D’ailleurs, lors de la révision en 2003 de la Constitution, le Gouvernement s’est empressé de recourir en toute urgence à la législation déléguée pour créer une première en Roumanie et organiser un référendum déroulé pendant deux jours. 

Cette flexibilité a été ôtée en 2018, lorsqu’une nouvelle modification de la loi relative au référendum n’a plus laisse au Parlement la possibilité de fixer le jour concret du référendum, mais a fait mentionner dans la loi organique même que ce jour serait le dernier dimanche existant à l’intérieur du délai de 30 jours imposé par la Constitution. Pourtant, l’impossible a été fait et le Gouvernement a adopté un acte de législation déléguée qui méprise la loi organique afin d’organiser, à nouveau, un référendum dans deux jours … 

Après tant d’égarements des règles et procédures mises en place pour garantir la validité d’une révision constitutionnelle il ne devrait pas être difficile d’imaginer la fin. 

Avant de devenir un combat juridique, le débat sur le mariage des personnes du même sexe a été un débat de société. Dans la vague des discussions sociétales menées ailleurs, et dans le contexte des modifications normatives enregistrées notamment après les années 2000 et surtout en Europe, le mariage entre les personnes du même sexe a fait son chemin en Roumanie aussi. Le décalage avec lequel la question s’est posée au public roumain a permis la cristallisation dans le droit comparé de toute une diversité des options possibles, entre la variante de la reconnaissance ou non-reconnaissance juridique de ce mariage par voie jurisprudentielle, législative, ou constitutionnelle ou encore entre l’option d’une décision prise par les représentants du peuple, une décision prise par un référendum obligatoire ou bien une décision prise par les autorités de l’Etat suite à une consultation de la population sans valeur juridique. 

Le choix d’une révision constitutionnelle pour trancher une telle question semble appartenir aux solutions plutôt radicales ; il est soumis aux exigences de fond et de procédure spécifiques à toute modification constitutionnelle et il est voué à une rigidité qui risque de se heurter à la dynamique sociale. En plus, si une telle révision constitutionnelle est décidée sur la base d’une initiative citoyenne, l’élément additionnel de l’initiative populaire rend l’exercice encore plus périlleux du point de vue juridique : en plus des exigences relatives à la révision constitutionnelle il faut respecter aussi les exigences relatives aux initiatives populaires. Tout cela a contribué à l’échec retentissant subi par l’initiative citoyenne pour la révision de la Constitution de la Roumanie dans le sens de l’interdiction du mariage entre les personnes de même sexe.

Toutefois, il convient de préciser que cet échec n’a pas changé l’état des choses : le cadre juridique en vigueur en Roumanie rend possible uniquement le mariage hétérosexuel et rien d’autre. Un arrêt récent de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), qui a fait savoir que le droit de l’UE « s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État membre audit ressortissant, au motif que le droit dudit État membre ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe » est resté sans impact au niveau normatif. Après avoir adressée la question préjudicielle qui a été à l’origine de cette affaire devant la CJUE, la Cour Constitutionnelle a décidé que le Code civil roumain est constitutionnel, malgré le fait qu’il interdit le mariage entre des personnes de même sexe et la reconnaissance sur le sol roumain des tels mariages légalement conclus à l’étranger. 

Elena Simina Tănăsescu est professeur de droit à Bucharest University

Citation suggérée: Elena Simina Tanasescu, ‘Partie II: La Roumanie: Chronique d’un référendum échoué’ IACL-AIDC Blog (19 Octobre 2018) https://blog-iacl-aidc.org/blog/2018/10/18/partie-ii-la-roumanie-chronique-dun-rfrendum-chou