Partie I: La Commission Consultative de Révision de la Constitution dans l’œuvre d’élaboration de la Constitution marocaine de 2011: Problématique des Travaux préparatoires

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Professeur Abdelaziz Lamghari Moubarrad

Association Marocaine de Droit Constitutionnel

Note de rédacteurs: Ce billet est le premier de deux postes écrits par Professeur Mourbarrad portant sur le problématique de travaux préparatoires de la constitution marocaine. Le deuxième post sera publié vendredi le 12 octobre.

La Commission a élaboré le projet de Constitution (Pour des raisons à la fois objectives et conjoncturelles, la Commission dont nous étions membre n’a pas construit de site pour couvrir les trois mois, courte période par nécessité politique, de son fonctionnement), mais elle n’a pas produit la Constitution qui fut soumise au référendum et publiée comme texte officiel de la Constitution du Royaume du Maroc. Ce fait n’est pas surprenant et, à plus forte raison, ce n’est ni décevant ni inattendu. Un Mécanisme politique  a pris sa part dans cette élaboration et le Roi, bien entendu, volonté constituante, créateur de la Commission qu’il a chargée de concrétiser les axes contenus dans le discours royal du 9 mars  , ne pouvait  pas se dessaisir de ses attributs d’encadrement, d’ajustement et d’arbitrage. Au cœur de ce schéma, il convient de faire place à une tendance d’analyse, soit politique soit académique, consistant à vouloir surmonter les difficultés (supposées ou réelles) d’interprétation ou d’application de la nouvelle Constitution, par la référence nécessaire aux « travaux préparatoires » (désormais TP) de la Commission. La problématique qui se pose dès lors est la suivante, fractionnée en plusieurs questions : La Commission a-t-elle des TP ? La Commission qui n’a pas produit le texte définitif, peut-elle prétendre à des TP ? Les TP de la Commission ne sont-elles pas en définitive que des propositions,  et ces propositions ne perdent-t-elles pas de leur substance de TP lorsqu’elles se sont trouvées revues par d’autres acteurs agissants, soit pour être réaménagées, soit pour être relativisées ou même écartées ? Les TP ne sont-ils pas au fond la rencontre et la synthèse de toutes les élaborations, celle de la Commission et celles des autres intervenants, dont principalement le Mécanisme politique ? Comment savoir les parts respectives en la matière, sachant qu’une interférence a eu lieu entre les différentes élaborations, d’une manière ou d’une autre, en termes de conception, de rédaction ou de formulation, ou tout simplement en termes d’agencement des dispositions ou du choix des termes et même de la ponctuation ? 

Le présent post, tentera de discuter de la notion de TP uniquement par rapport à la Commission.       

L’idée directrice ici est que c’est avec beaucoup de précaution qu’il convient d’utiliser le concept de TP à propos des travaux de la Commission. Cette idée n’a rien à voir avec la tentation de considérer que la Commission n’a été presque qu’un paravent et que de ce fait, elle ne dispose tout simplement pas de travaux et que sa trace dans la Constitution de 2011 serait limitée et même à peu près nulle. Il faut bannir cette déduction à l’emporte-pièce dont la démonstration est plutôt préconstruite et en tout cas, écarter toute déduction mal pensée, en tenant compte des éléments interdépendants suivants :

1. Il ne peut être prétendu que la Commission ne dispose pas de travaux propres à elle, car elle en a, sans toutefois constituer des travaux pouvant être qualifiés de TP. Ils ne sont pas, à notre sens, de nature à servir de référence pour les acteurs concernés ou pour le juge constitutionnel en vue d’éclairer ou de trancher un débat ou un recours en rapport avec l’interprétation de dispositions constitutionnelles. Cet élément est l’élément principal qui cadre les présentes propositions.

2. La Commission a été une commission consultative, de deux manières : D’une part, elle n’a pas eu le statut de commission constituante (plutôt assemblée constituante) qui aurait permis de faire de ses travaux un référentiel permettant de trancher, ou au moins d’éclairer une interprétation constitutionnelle. D’autre part, elle n’a pas été consultative dans l’exclusivité, dans la mesure où en parallèle a été mise en place et a fonctionné régulièrement durant toute l’élaboration du projet de Constitution, une autre commission, le Mécanisme politique précité. Cette entité n’a pas eu certes pour fonction d’élaborer et de rédiger ledit projet, mais d’accompagner cette entreprise. Cet accompagnement assuré par des acteurs politiques (représentants de partis et de syndicats), candidats à la fonction exécutive et à la représentation parlementaire, ne signifiait nullement une tutelle sur la Commission, mais devait impliquer, chose normale au fond, une interférence sur le contenu de telle ou telle disposition ou sur l’orientation de tel ou tel dispositif dans le projet de Constitution. C’est toute la différence, de principe, entre une Commission technique et experte, et un mécanisme, situé en politique, et pouvant, à partir de la légitimité de son existence comme structure annoncée et constituée, user d’opposition, de pression, ou d’intermédiation (Une dualité qui associait à la réflexion juridique de caractère objectif, la perception politique de soubassement représentatif. En écho à la logique de cette dualité, il n’est pas inutile  d’évoquer ici, la position du Président de la Commission, Abdeltif Menouni, qui n’admettait pas une certaine opinion au sein du Mécanisme considérant la Commission comme son simple bras technique). La Constitution de 2011 étant partiellement le résultat de la commission consultative, il devient inadapté de vouloir utiliser les travaux de la Commission comme TP, alors que leur utilisateur n’est pas au fait des « travaux » de chacune des deux entités, de l’élaboration au départ et du traitement à l’arrivée des dispositions et, donc, de la teneur des débats et des changements qui en résultent. En présence des travaux des uns et des autres (comme données matérielles supposées disponibles), mais en l’absence de procès-verbaux validés comme documents officiels (sans toutefois que l’auteur du présent papier puisse affirmer ce fait concernant le Mécanisme politique), il est difficile d’identifier l’écheveau et totalement inapproprié  de vouloir le démêler.    

Professeur Lamghari Moubarrad est le président de L’Association Marocaine de Droit Constitutionnel

Citation Suggérée: Abdelaziz Lamghari Moubarrad ‘Partie I: La Commission Consultative de Révision de la Constitution dans l’Oeuvre d’Elaboration de la Constitution Marocaine de 2011: Problématique des Travaux préparatoires’ IACL-AIDC Blog (5 October 2018) https://blog-iacl-aidc.org/blog/2018/10/7/partie-i-la-commission-consultative-de-rvision-de-la-constitution-dans-luvre-dlaboration-de-la-constitution-marocaine-de-2011-problmatique-des-travaux-prparatoires