Du triomphe à la Staline à la victoire à la Pyrrhus : la métamorphose du pouvoir électoral présidentiel au Cameroun de 1997 à 2025
/Paul Zibi
Paul Zibi est maître de conférences à l’Université d’Ebolowa, au Cameroun
Le Conseil constitutionnel vient de proclamer les résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025. C’est le candidat Paul Biya, président en exercice depuis 1982, qui remporte sur les onze autres candidats.
Si l’issue ne faisait aucun doute, pour des raisons évoquées dans un billet de blog du Réseau Africain de Droit Constitutionnel à l’occasion des élections sénatoriales du 12 mars 2023, c’est l’évolution des résultats décroissants depuis l’élection présidentielle de 1997 qui interpelle ici. L’on constate en effet une courbe descendante des scores obtenus par ce candidat, âgé aujourd’hui de 92 ans, qui brigue un huitième mandat à la tête du Cameroun. En effet, depuis l’élection présidentielle de 1997 pendant laquelle il a enregistré 92,57% des voix, 70,92% en 2004, celle de 2011 avec 77,99% de suffrages, 71,28% lors de la consultation de 2018, les résultats de l’élection de cette année 2025 ont chuté à 53,66%.
Ces scores illustrent parfaitement deux figures symboliques du rapport au pouvoir après une élection entretenues généralement dans l’imaginaire politique, à savoir : le « triomphe à la Staline » et la « victoire à la Pyrrhus ». La première évoque une domination absolue d’un régime sur le corps électoral, qui se traduit par cette aporie attribuée à Joseph Staline, selon laquelle : « Ceux qui votent ne décident de rien. Ceux qui les comptent décident de tout ». La seconde figure symbolique, quant à elle, renvoie à une victoire si coûteuse qu’elle équivaut presque à une défaite. Cette baisse visible, se traduisant par le passage des triomphes à la Staline en 1997, 2004, 2011 et 2018 à la victoire à la Pyrrhus en 2025, illustre bien l’érosion au fil des élections d’un autoritarisme électoral longtemps apparu comme inébranlable.
Au regard des élections de 1997, 2004, 2011, 2018 et 2025, le glissement de la figure stalinienne à la figure pyrrhique est loin d’être du simple fait des dynamiques électorales. Il dévoile le passage d’une sanctuarisation de l’autoritarisme électoral, où la victoire servait de refuge à la domination, vers l’entrée dans une ère de désacralisation du pouvoir présidentiel, dans laquelle le candidat élu est perçu comme le bénéficiaire d’un système épuisé.
I. La sanctuarisation de l’autoritarisme électoral
La sanctuarisation de l’autoritarisme électoral s’entend ici de l’institutionnalisation formelle de l’autoritarisme électoral (A) qui favorise l’élection du président en exercice (B).
L’autoritarisme électoral comme norme institutionnelle
Au lendemain de l’élection du 11 octobre 1992 au cours de laquelle le candidat Biya est réputé avoir obtenu 39,98% des suffrages contre 35,97% pour Ni John Fru Ndi, le Cameroun a basculé dans l’irrationalisme démocratique. Celui-ci renvoie à l’idée que, dans un système se réclamant démocratique, les institutions et les procédures s’éloignent de la rationalité juridique attendue. C’est notamment le cas avec l’adoption des lois électorales entre septembre 1992 et 2012. Toute cette législation avantageuse est aujourd’hui codifiée dans la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral. Ce code, qui s’attire aujourd’hui les critiques des plus acérées, instaure un processus qui relève d’un autoritarisme électoral, au sens de Steven Levitsky et Lucan A. Way, c’est-à-dire un régime où les élections existent, mais offrent peu de conditions pour une alternance réelle. Concrètement, le droit électoral camerounais, marqué par de faibles garanties procédurales, illustre la juridicisation du contrôle politique : les institutions chargées de l’organisation des élections consacrent juridiquement des résultats déjà produits par le système politique. La légalité électorale sert ainsi de paravent à un pouvoir de fait qui favorise le maintien de l’ordre dominant.
Le président de la République comme figure sacrée
Les élections de 1997, 2004, 2011 et 2018, avec leurs scores staliniens, ont renforcé certaines croyances par une sorte de sacralisation du pouvoir du président de la République. Celui-ci est présenté comme le garant de la paix et de l’unité nationale, au point où toute idée d’alternance serait associée au risque de désordre. Par une sorte de théologie politique, il est même élevé par certains comme celui que Dieu aurait choisi pour présider aux destinées du Cameroun. Le vote en sa faveur devient dès lors un acte de loyauté, et non un choix politique, un rituel qui confère au pouvoir une légitimité quasi religieuse, ancrée dans la figure du père de la nation. Cette sacralisation du pouvoir procède d’un modèle postcolonial, où l’autorité du dirigeant relève davantage du registre mythique que juridique, au point où face à une véritable adversité populaire le système s’effrite.
II. La désacralisation du pouvoir présidentiel
L’élection du 12 octobre 2025 a éventré les certitudes sur lesquelles repose la loi électorale. Elle révèle la fin du mythe présidentiel (A) et consacre l’échec de la légitimation par la durée (B).
La fin du mythe présidentiel
Au Cameroun, la figure du Président Biya a toujours été entourée du respect que l’on voue au chef et aux personnes âgées dans les pays africains subsahariens. Cependant, cette élection de 2025 a permis de constater une cassure dès la veille de la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel. Des contestations se sont élevées pour dénoncer le processus électoral, ainsi que les institutions qui y ont la charge. Plusieurs candidats, dont le principal challenger, Issa Tchiroma Bakary, ont refusé d’introduire des requêtes devant le Conseil constitutionnel, au prétexte que cette juridiction est déjà acquise au président sortant. Les manifestations qui se poursuivent ont révélé cette victoire à la Pyrrhus où le président réélu n’est plus perçu comme un héros politique par la majorité de ces concitoyens, mais comme un survivant du système. Sa victoire ne suscite plus la ferveur, mais la résignation. On en arrive à la désacralisation du Chef de l’État, ainsi qu’à l’épuisement du modèle qu’il incarne. Plus qu’en 2018 où sa victoire était certes juridiquement fondée, mais fortement contestée, en cette élection de 2025, il ressort encore plus affaibli par la contestation sociale et la désaffection populaire, dont l’une des causes demeure la durée de son office.
L’échec de la légitimation du pouvoir présidentiel par la durée
Le constitutionnalisme africain en général et celui camerounais en particulier, longtemps fondé sur la continuité du pouvoir présidentiel, se heurte désormais à une limite : la légitimité ne se produit plus par la durée. Les quarante-trois ans du Président Biya passés au pouvoir et les sept ans qui commencent avec ce nouveau mandat deviennent inéluctablement un symbole d’usure. La victoire à la Pyrrhus révèle cette contradiction : plus le pouvoir se maintient, plus il se fragilise. Les résultats de cette consultation de 2025 constituent le point culminant de l’érosion dans le temps des suffrages exprimés en sa faveur. L’institution présidentielle, censée incarner l’unité nationale, semble devenir aujourd’hui le foyer des divisions. Au regard de ce qui se passe, on dirait que le pouvoir en place a gagné les élections, mais risque de perdre le pays. Le danger est que la désacralisation du pouvoir présidentiel s’accompagne d’un désenchantement constitutionnel. Si le peuple, conscient du caractère formel des scrutions, ne croit plus à la vertu normative du vote consacrée par la Constitution, l’on risque d’assister durablement à l’effritement du rapport entre gouvernants et gouvernés.
Paul Zibi est maître de conférences à l’Université d’Ebolowa, au Cameroun.
Suggested Citation: Paul Zibi, ‘Du triomphe à la Staline à la victoire à la Pyrrhus : la métamorphose du pouvoir électoral présidentiel au Cameroun de 1997 à 2025’, IACL-AIDC Blog (25 Novembre 2025) Du triomphe à la Staline à la victoire à la Pyrrhus : la métamorphose du pouvoir électoral présidentiel au Cameroun de 1997 à 2025 — IACL-IADC Blog




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