La démocratie illibérale en droit constitutionnel

Vanessa Barbé, Bertrand-Léo Combrade & Charles-Êdouard Sénac

Université Polytechnique Hauts-de-France, Université de Poitiers & Université de Bordeaux

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur l’ouvrage ?

L’ouvrage intitulé « La démocratie illibérale en droit constitutionnel » entend contribuer à l’analyse de la démocratie illibérale en étudiant les tenants et aboutissants juridiques de l’illibéralisme comme évolution ou composante de certains régimes réputés ou revendiqués démocratiques. Il réunit, à la suite d’un colloque international organisé les 7 et 8 avril 2021 par les universités de Bordeaux et de Valenciennes, les contributions d’une trentaine d’universitaires spécialisés en droit constitutionnel et s’intéressant aux institutions politiques africaines, américaines, asiatiques et européennes.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’analyse d’une théorie qui reste encore à construire, voire à déconstruire. Après un premier chapitre consacré à des questionnements théoriques, le deuxième chapitre s’intéresse à l’appréhension de la démocratie illibérale par le droit européen et international. Le troisième chapitre, quant à lui, est le cadre d’analyses de doctrines nationales relatives à la démocratie illibérale.

La seconde partie de l’ouvrage s’attache à remonter aux sources constitutionnelles de l’illibéralisme. Elle s’intéresse ainsi aux différents facteurs institutionnels propices à l’avènement de la démocratie illibérale et à leur mise en œuvre dans des contextes politiques particuliers. Le premier chapitre évoque le cas des manipulations de la Constitution par des organes constitutionnels. Le deuxième est consacré au détournement des procédures démocratiques dans un contexte illibéral. Le troisième aborde les liens entre la séparation des pouvoirs et l’illibéralisme démocratique dans des contextes politiques variés.

Qu'est-ce qui vous a incité à vous lancer dans ce projet ?

Entrée dans le langage courant, l'expression « démocratie illibérale » est aujourd’hui assez largement mobilisée en sciences politiques et se trouve même revendiquée par certains dirigeants, tel Viktor Orbán. En revanche, en tant qu’objet de la science du droit constitutionnel, la démocratie illibérale était peu analysée, alors même que les caractéristiques prêtées à ce type de régime politique s’inscrivent au cœur des enjeux du constitutionnalisme, tant classique que contemporain (séparation des pouvoirs, État de droit, droits fondamentaux).

Quels sont les auteur.e.s dont les travaux vous ont marqué tout au long du projet ?

Il est d'usage d’attribuer la création de l'expression « démocratie illibérale » à Fareed Zakaria, politologue américain, qui l’employa à la fin des années 1990 pour désigner l'essor de régimes politiques combinant un système d'élections libres et l’absence d'une culture et d'institutions ressortissant du libéralisme constitutionnel (Le Débat, 1998/2 n° 99, p. 17-26). Notre attention a également porté sur les travaux des politistes et des rares juristes qui ont étudié le phénomène de l’illibéralisme et ses liens avec la démocratie (par ex., Philippe Braud, « Les démocraties libérales sont-elles mal-gouvernables ? », Pouvoirs, 2019, n° 169, p. 61 ; Thomas Hochmann, « Cinquante nuances de démocratures », Pouvoirs, 2019/2 n° 169, p. 10 ; Lucien Jaume, « Démocratie illibérale : une nouvelle notion ? », Constitutions, 2019, p. 177 ; Didier Mineur, « Qu’est-ce que la démocratie illibérale ? », Cités, 2019, n° 79, p. 105; Yascha Mounk, Le peuple contre la démocratie, Éditions de l'Observatoire, 2018).

Quels défis avez-vous dû relever pour écrire cet ouvrage ?

Prendre la démocratie illibérale comme objet d’étude de la science du droit constitutionnel ne va pas sans susciter un certain nombre de réticences qu’il a fallu surmonter. L’objet de cet ouvrage n’est évidemment pas de légitimer l’existence de régimes politiques illibéraux en leur apportant une forme de caution scientifique mais d’enrichir la connaissance en apportant un concours à la compréhension de phénomènes traditionnellement délaissés par la science du droit constitutionnel.

Quelle est, selon vous, la contribution de cet ouvrage au discours universitaire et, plus largement, au droit constitutionnel ou public?

L’ensemble de ces contributions concourent à l’appréhension d’une notion dont les significations et usages sont pluriels. Elles témoignent de la fertilité de la recherche en droit constitutionnel et de sa capacité à apporter, en complément des autres sciences humaines et sociales, un regard nouveau sur un phénomène global et complexe.

Quelle est la prochaine étape ?

Nous espérons que cet ouvrage contribuera à mieux comprendre les transformations qui affectent nombre de régimes politiques dans la période contemporaine et suscitera de nouvelles recherches qui confirmeront ou infirmeront les différentes analyses.

La démocratie illibérale en droit constitutionnel est disponible aux éditions Bruylant.